La rupture anticipée du contrat de mission par l’entreprise de travail temporaire (ETT) : Droits et recours pour les salariés intérimaires

Le contrat de mission, appelé encore contrat de travail temporaire ou contrat d’intérim, repose sur une relation tripartite entre le salarié intérimaire, l’entreprise de travail temporaire (ETT) et l’entreprise utilisatrice. Cette relation à trois est formalisée par deux contrats distincts :

  • Contrat de mission : Ce contrat est conclu entre l’ETT et le salarié intérimaire. Il définit les conditions de travail, la durée de la mission, la rémunération et les obligations respectives des parties.
  • Contrat de mise à disposition : Ce contrat commercial est conclu entre l’ETT et l’entreprise utilisatrice. Il précise les modalités de mise à disposition du salarié intérimaire et les conditions financières de la prestation.

Données Statistiques

Selon les données de la Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques (DARES), le nombre d’intérimaires en France a connu une baisse progressive au cours des dernières années. En 2021, on dénombrait 842 174 intérimaires, contre 802 740 en 2022, 755 524 en 2023 et 717 586 en 2024. Cette diminution peut s’expliquer par un ralentissement de l’emploi dans certains secteurs clés, notamment l’industrie automobile, la construction et le bâtiment.

En décembre 2024, la répartition des intérimaires par secteur était la suivante :

  • Agriculture : 3 302 intérimaires
  • Industrie : 245 617 intérimaires
  • Construction : 131 597 intérimaires
  • Tertiaire : 337 071 intérimaires

La région Ile-de-France était la plus représentée avec 119 342 intérimaires.

Spécificité du contrat de mission (CDD, CDI)

Un contrat de mission est généralement un contrat à durée déterminée (CDD), d’une durée maximale, sauf exception, de 18 mois (renouvellement compris).

Toutefois, dans un soucis de sécurisation des parcours professionnels des intérimaires, l’ETT peut conclure avec le salarié un CDI (C. trav., L. 1251-58-1 à L. 1251-58-8). Pour l’entreprise utilisatrice, le recours à un salarié sous CDI intérimaire permet des missions plus longues et sans délai de carence sur le même poste.

Mais quel que soit le contrat conclu, l’ETT ne peut mettre à disposition un salarié temporaire auprès d’entreprises utilisatrices que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire, dénommée mission, et seulement dans les cas énumérés par la loi, tels que le remplacement temporaire d’un salarié absent, l’accroissement temporaire d’activité ou les travaux saisonniers.

Ainsi, un tel contrat ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement à un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice.

Mentions obligatoires du contrat de mission

Un contrat de mission doit contenir plusieurs mentions obligatoires afin d’assurer la transparence et la protection du salarié intérimaire. Les principaux éléments essentiels sont :

Identification des parties

  • Nom et coordonnées de l’entreprise de travail temporaire (ETT).
  • Nom et coordonnées de l’intérimaire.
  • Identité de l’entreprise utilisatrice.

Motif du recours

  • Justification précise du recours à l’intérim.

Durée de la mission

  • Date de début et date de fin de la mission.
  • Possibilité de renouvellement.
  • Pour un contrat sans terme précis, mention d’une durée minimale.

Description du poste et des conditions de travail

  • Intitulé du poste occupé.
  • Nature des tâches à effectuer.
  • Lieu d’exécution du travail.
  • Durée du travail et horaires applicables.

Rémunération

  • Montant du salaire horaire ou mensuel.
  • Primes et indemnités éventuelles (indemnité de fin de mission, indemnité compensatrice de congés payés).
  • Modalités de paiement du salaire.

Droits et obligations du salarié intérimaire

  • Respect du règlement intérieur de l’entreprise utilisatrice en matière de sécurité et d’hygiène.
  • Équipements de protection fournis (si nécessaire).

Clause de fin de mission

  • Conditions de rupture anticipée (faute grave, force majeure, embauche en CDI, inaptitude).
  • Indemnités éventuelles en cas de rupture prématurée.

Mentions spécifiques

  • Obligation pour l’ETT de fournir une lettre de mission.
  • Mention des conventions collectives applicables.

Conditions de rupture du contrat de mission

La rupture d’un contrat de mission par une ETT est strictement encadrée (C. trav., L. 1251-26). Elle ne peut intervenir avant son terme que dans les cas suivants :

  • Faute grave du salarié : Si le salarié commet une faute grave ou lourde, rendant impossible son maintien dans l’entreprise. La rupture se fait alors sans indemnité.
  • Force majeure : Si un événement imprévisible, irrésistible et extérieur, rend impossible l’exécution du contrat. La rupture se fait alors sans indemnité.
  • Inaptitude médicale : Si le salarié est déclaré inapte à son poste par le médecin du travail, et que l’employeur est dans l’impossibilité de procéder à un reclassement.

La rupture du contrat de mise à disposition par l’ETT ou l’entreprise utilisatrice ne constitue pas un cas de force majeure (C. trav., L. 1251-27).

Causes de requalification d’un contrat de mission en CDI

La requalification d’un contrat de mission en CDI peut intervenir lors d’irrégularités dans sa gestion ou lors d’abus dans son utilisation. Le salarié peut alors saisir le conseil de prud’hommes (C. trav., art. L. 1251-41) pour demander cette requalification en invoquant les causes suivantes :

  • Motif de recours injustifié ou irrégulier : Si l’entreprise de travail temporaire ou l’entreprise utilisatrice ne justifie pas d’un motif réel et sérieux pour recourir à l’intérim, ou si ce motif est simplement inexistant (ex. : emploi stable, absence de surcroît réel d’activité) ou si le contrat de mission a pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice.
  • Contrats successifs : Si, en dehors des cas limitativement énumérés par la loi, le salarié enchaîne les contrats de mission, sans interruption significative pour un même poste de travail, ce qui laisserait supposer que le besoin pour l’entreprise utilisatrice est permanent.
  • Défaut d’écrit ou mentions obligatoires incomplètes : Si le contrat de mission n’est pas formalisé par écrit et signé par le salarié, ou ne comporte pas toutes les mentions obligatoires (C. trav., art. L. 1251-16 et suivants).
  • Rupture abusive du contrat avant son terme : Si l’ETT ou l’entreprise utilisatrice rompt le contrat en dehors des cas prévus par la loi, cette rupture peut être jugée abusive et le salarié peut réclamer des indemnités complémentaires pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
  • Non-respect des délais de transmission : Si l’ETT ne transmet pas le contrat de mission au salarié dans les deux jours ouvrables suivant sa mise à disposition, le salarié peut demander la requalification du contrat en CDI.

Conséquences de la rupture ou de la requalification du contrat de mission

Dans le cas d’une rupture anticipée du contrat de mission par l’ETT, hors motifs légaux (faute grave, force majeure, inaptitude médicale), celle-ci doit proposer au salarié un nouveau contrat de travail prenant effet dans un délai maximum de trois jours ouvrables, rémunéré et d’une durée au moins équivalente à celle qui restait à courir du contrat précédent..

Ce nouveau contrat ne peut comporter de modifications d’un élément essentiel en matière de qualification professionnelle, de rémunération, d’horaire de travail et de temps de transport.

Si le nouveau contrat est d’une durée inférieure à celle restant à courir du contrat précédent, l’ETT doit payer au salarié une indemnité égale à la rémunération qu’il aurait perçue jusqu’au terme du contrat, y compris l’indemnité de fin de mission.

Si la rupture est injustifiée, le salarié pourra alors demander à l’ETT, en plus des indemnités, des dommages et intérêts.

En cas de requalification d’un contrat de mission en CDI, le salarié bénéficie des droits suivants :

  • Indemnité de requalification : Il est accordé au salarié une indemnité, à la charge de l’entreprise utilisatrice, qui ne peut être inférieure à un mois de salaire (C. trav., art. L. 1251-41).
  • Ancienneté : L’ancienneté du salarié est prise en compte depuis le début de la première mission.
  • Préavis : En cas de rupture du contrat requalifié, l’employeur doit respecter le préavis applicable aux CDI.
  • Indemnité de licenciement : Le salarié a droit à une indemnité de licenciement calculée en fonction de son ancienneté et de sa rémunération.

Délais de prescription

Il est important, pour le salarié qui veut engager une action, de bien vérifier le délai de prescription qui diffère selon que son action portera sur une requalification de son contrat de mission ou qu’elle portera sur une demande indemnitaire :

  • Prescription biennale (exécution du contrat) : La jurisprudence considère que l’action en requalification de contrats de mission en CDI relève de l’exécution du contrat de travail et se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits permettant d’exercer son droit (C. cass. soc., 24 avr. 2024, n° 23-11.824).

Par exemple, en cas de succession de contrats de mission alors qu’une relation de travail stable et durable aurait dû être établie, le salarié peut demander la requalification de son contrat en CDI, au plus tard deux ans après le terme du dernier contrat de mission (C. cass., soc., 11 mai 2022 n° 20-12.271).

  • Prescription de 12 mois (rupture du contrat) : L’action en paiement de dommages-intérêts en raison d’un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, fût-elle due à la requalification de contrats de mission en CDI, se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture (C. cass. soc., 24 avr. 2024, n° 23-11.824).

In fine, en tant que salarié intérimaire et en cas de non-respect des conditions légales par l’ETT, vous avez la possibilité de faire valoir vos droits devant le conseil de prud’hommes pour contester la rupture anticipée de votre contrat de mission et/ou demander une requalification en CDI.

Face à ces situations complexes, ne restez pas isolé. Un avocat en droit du travail pourra analyser la légalité de la rupture, engager des négociations avec l’ETT pour obtenir les indemnités dues, et, si nécessaire, saisir le Conseil de Prud’hommes pour défendre vos droits.

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